(par Michel DONATH, AWP)
Zurich (awp) – L’aviation d’affaires suisse n’est pas au bout de ses peines, après un exercice 2020 catastrophique et un démarrage en 2021 plus que mitigé. Les perspectives oscillent entre des scénarios noirs et un certain optimisme, alors que les revenus ont chuté de près de 40{09e1b3165f2dd526c29ff0beb753792f351052fb9d52c37d12802b84b0e44839} l’année dernière, indiquent les experts interrogés par AWP.
Depuis avril 2020, les affaires du secteur, qui représentait en 2018 quelque 34’000 emplois et un chiffre d’affaires de 16,09 milliards de francs, sont pratiquement à l’arrêt.
Les frontières ont été fermées, « ce qui a particulièrement frappé l’aviation d’affaires suisse car elle n’enregistre pratiquement pas de trafic intérieur vu les courtes distances dans notre petit pays », déplore Helene Niedhart, qui cumule les fonctions de présidente et directrice générale de Cat Aviation, vice-présidente de l’Association suisse de l’aviation d’affaires (SBAA) et de gouverneure de l’Association européenne de l’aviation d’affaires (EBAA) à Bruxelles.
L’été dernier, les court-courriers ont témoigné d’une reprise modérée, avec comme clientèle des vacanciers et des familles qui ne voulaient pas manquer les séjours de bord de mer, d’autant plus que beaucoup n’ont pas pu annuler leurs réservations de vacances. En l’absence de liaisons aériennes et de charters, ils ont alors loué un jet d’affaires.
Mais la clientèle professionnelle était pratiquement absente, car avec le bouclage quasi total des frontières et les avertissements aux voyageurs, les vols long-courriers n’étaient guère possibles. Dans une large mesure, c’est toujours encore le cas aujourd’hui.
Des tests fréquents et chers
Pour les exploitants d’avions d’affaires, la planification d’un vol est devenue un défi de taille avec les réglementations internationales d’entrée et de sortie qui changent pratiquement tous les jours. Pour les membres d’équipage, cela signifie qu’ils doivent passer un test Covid-19 tous les trois jours, ce qui prend du temps et coûte cher.
Pendant les fêtes de fin d’année, les vols de jets long-courriers ont quelque peu repris, avec quelques destinations comme les Maldives, les Seychelles et la République dominicaine, réservés par des personnes à revenus élevés.
Début 2021, avec le renforcement du confinement un peu partout dans le monde, les perspectives à court terme demeurent sombres, d’autant plus qu’en Europe plusieurs pays imposent des fermetures et des couvre-feux. Selon Mme Niedhart, la grande incertitude autour de l’évolution de la troisième vague de Covid-19, les retards dans les vaccinations et la réticence des autorités à autoriser des concepts de sécurité et de test pour le trafic aérien afin de rendre les vols à nouveau possibles n’incitent pas vraiment à l’optimisme.
Pourtant, « les expériences d’autres pays qui ont déjà vacciné une grande partie de leur population nous poussent vers un optimisme mesuré », anticipe Helene Niedhart. Les derniers chiffres de l’aviation d’affaires en Amérique du Nord montrent une reprise significative de l’activité, atteignant d’ores et déjà presque les niveaux de 2019. Et certains pays asiatiques font même encore mieux.
Les Etats-Unis disposent certes d’un vaste marché intérieur, mais même là les vols internationaux long-courriers continuent de faire défaut.
Manque de clairvoyance de Berne
Pour Walter Chetcuti, président de l’Association genevoise d’aviation d’affaires (Agaa), les acteurs helvétiques du secteur ont été en mesure de livrer des services flexibles et fiables dans des situations complexes tels que les rapatriements sanitaires et la livraison urgente de fourniture médicales.
Toutefois, il est inquiet car les vols annulés ont des conséquences sur toute la chaîne de valeur, du personnel navigant aux emplois de maintenance au sol et de l’accueil des clients aux fournisseurs des repas.
Si l’Agaa représentait 1{09e1b3165f2dd526c29ff0beb753792f351052fb9d52c37d12802b84b0e44839} des emplois du canton de Genève avant la crise, ce chiffre est en chute libre. « Certains de nos membres ont déjà dû se séparer de près de 40{09e1b3165f2dd526c29ff0beb753792f351052fb9d52c37d12802b84b0e44839} de leurs effectifs », regrette M. Chetcuti.
La Confédération a bien ouvert une enveloppe pour soutenir le secteur aéronautique, mais l’Agaa n’a reçu aucune information sur une part éventuelle pour l’aviation d’affaires. « Une grande partie des aides proposées ne conviennent pas à notre réalité, car elles se basent presque toutes sur un retour à la norme précédant la crise, alors que rien n’est moins certain », s’étonne le président de l’association.
Après la crise, plusieurs scénarios sont envisageables. « Des situations favorables, avec un bond de la demande, vu notre avantage sanitaire comparé à l’aviation commerciale de masse. Et des scénarios catastrophes, marqués par une réduction durable des déplacements professionnels, le télétravail obligatoire ou institutionalisé, voire un départ massif de nos clients vers les aéroports frontaliers, très intéressés par la prise de nos parts de marché », commente Walter Chetcuti.
md/al
La taxe de la future loi sur le CO2 « contre-productive »
Zurich (awp) – Selon Walter Chetcuti, président de l’Association genevoise d’aviation d’affaires (Agaa), la future loi sur le CO2, qui prévoit une taxe au départ de la Suisse dans une fourchette de 500 à 5000 francs, fermera le ciel suisse à l’aviation d’affaires.
« Si le but est louable, la méthode nous parait totalement contre-productive. D’autant plus que notre industrie s’intéresse à son impact sur l’environnement et investit dans ce sens avec des offres climatiquement neutres, l’utilisation de carburants bio et des appareils plus efficients », souligne l’Agaa.
La taxe d’incitation sur le CO2 sera introduite à partir de janvier 2022 pour les avions d’affaires. Or, les émissions de dioxyde de carbone par l’aviation ne constituent pas seulement un problème suisse, mais également mondial, s’inquiète Helene Niedhart, directrice générale et fondatrice de Cat Aviation.
Par conséquent, seule une solution coordonnée au niveau international peut mener au succès, où l’aviation d’affaires internationale, par le biais de l’EBAA à Bruxelles et de la NBAA aux Etats-Unis, joue un rôle de pionnier pour assurer à l’avenir la neutralité climatique de ses vols.
L’aviation d’affaires suisse ne s’oppose pas aux taxes sur le CO2, mais cet argent devrait être utilisé spécifiquement pour les carburants biologiques ou synthétiques, ce qui permettrait de générer une réduction immédiate et rapide du CO2. En alternative, les fonds récoltés pourraient aussi être consacrés à des investissements dans la recherche et le développement, a plaidé Mme Niedhart.
Selon cette dernière, l’aviation d’affaires helvétique est à l’avant-garde de ce combat, à l’image de deux émanations de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich: le secteur collabore activement avec Climeworks qui filtre et élimine le CO2 dans l’atmosphère et Synhelion qui a développé un procédé permettant de produire du carburant synthétique à partir de la lumière du soleil et de l’eau. »
Nous reproduisons ici un article de l’agence AWP/ATS du journaliste Michel DONATH (AWP), paru dans divers médias Suisses.